La France face au génocide des Arméniens de Vincent Duclert
« La mobilisation des élites intellectuelles nationales [françaises] ne peut éclipser le complet abandon auquel sont livrés les Arméniens ottomans au cours de l’ultime phase de leur histoire ». Dès son avant-propos (p.12), l’historien Vincent Duclert pointe la contradiction entre les valeurs défendues par les « forces intellectuelles et morales » et officiellement proclamées par les États et la logique – plus que pragmatique – de puissance impériale. Si ce divorce est connu en général, c’est la forme qu’il prend dans le cas de la France face au génocide des Arméniens que Vincent Duclert étudie ici précisément. Ce cas est emblématique car la tension entre les deux approches y est extrême : les idéaux universels réputés constitutifs de la République française plus que de toute autre et la réalité de sa politique étrangère dans l’Empire ottoman sont en opposition. Le sauvetage même des résistants du Musa Dagh montre ce que la France pouvait faire et n’a pas fait. La tension est accentuée par l’engagement des « intellectuels », à partir de l’Affaire Dreyfus au moins, venant inlassablement rappeler à l’État, ses devoirs juridiques et moraux.
Toute l’analyse de Vincent Duclert s’attache donc à montrer la duplicité de la France face au génocide des Arméniens : « La France, nation emblématique de l’abandon des Arméniens » (p. 35) mais aussi « La tradition française d’engagement pro-arménien » (p. 42) avec le mouvement arménophile (Jean Jaurès, Anatole France, Pierre Quillard, etc.), constitué en grande partie de dreyfusards.
L’abandon des Arméniens n’est pas le seul fait de la France et l’abandon des Arméniens par la France ne se réduit pas au « désastre français de Cilicie » (p. 270). L’historien étudie la ligne diplomatique de l’État depuis les massacres hamidiens jusqu’à la position de la France face au négationnisme aujourd’hui.
Quant à l’engagement des humanistes en faveur des Arméniens, dont le sort ne peut qu’indigner les consciences, il n’existe pas en France uniquement. La question est, encore aujourd’hui, un peu partout dans le monde, le point d’achoppement entre les consciences et les lignes politiques ; ainsi, Vincent Duclert cite les travaux de la politiste américaine Samantha Power, pour qui « on observe nettement un lien étroit entre la démocratisation de la société américaine et la lutte contre le génocide des Arméniens. » (p. 13).
L’ouvrage de Vincent Duclert s’appuie sur toute la recherche menée ces dernières décennies sur le génocide des Arméniens et contribue à ce vaste mouvement en apportant un point de vue novateur, celui de l’historien de l’Affaire Dreyfus et du biographe de Jean Jaurès.