Parce qu’ils sont arméniens de Pinar Selek
Le négationnisme ordinaire vu de l’intérieur. La sociologue turque analyse sa propre
expérience, sa jeunesse dans un pays qui inocule dès l’enfance les préjugés anti-arméniens.
Sujet : « La révélation de la vérité concernant les mensonges arméniens ».
La circulaire du ministère de l’Éducation turc datée du 14 avril 2003 prétendait imposer, dans
toutes les écoles primaires du pays, des rédactions ou débats visant à montrer que le génocide
des Arméniens n’avait pas eu lieu. Telle est la face explicite du négationnisme d’État.
Pınar Selek le dénonce vigoureusement, d’une façon qui lui est propre : elle exerce déjà des
fonctions de journaliste à cette époque et rédige, dans sa rubrique, une « rédaction modèle »
où l’ironie est retournée contre les commanditaires : « Notre professeur nous a expliqué que
les mots ermeni et terörist ont la même racine, er (soldat) » (p. 12). « Ils [les Arméniens] ont
violé des femmes, en ont gardé certaines, ont vendu les autres. Nos terres ont été volées, nos
propriétés confisquées. Enfants, adultes, ils nous ont tous égorgés. Ils n’ont laissé aucun Turc
dans ce pays. » (p. 14)
Mais, il y a aussi le négationnisme implicite, les mises à l’index sournoises. On appelle les
femmes turques hanım mais les chrétiennes madame… Les élèves arméniennes ont intégré la
peur. « Pourquoi ne répondaient-elles pas aux insultes ? […] On aurait dit qu’elles n’avaient
pas le même âge que nous, qu’elles étaient des sœurs aînées plus mûres. Des tantes
soucieuses, éteintes, silencieuses. » (p. 24)
Dans ce récit, Pınar Selek se retourne sur le chemin intérieur qu’elle a accompli pour faire
voler en éclats les préjugés ambiants. Son milieu familial d’intellectuels opposants et sa
personnalité rebelle l’ont aidée, mais sans doute aussi la discipline qu’elle a choisi d’étudier
pour s’en approprier les outils conceptuels. L’ensemble de son œuvre en témoigne,
notamment Devenir homme en rampant son étude sur le Service militaire en Turquie
(L’Harmattan).
Ne dit-on pas que « la sociologie est un sport de combat » ?
Pınar Selek, Parce qu’ils sont arméniens, éditions Liana Levi, 2015, 93 p., 10 €.