Triple assassinat au 147 rue Lafayette de Laure Marchand
Il y avait déjà le Double assassinat dans la rue Morgue, mais c’était une fiction d’Edgar Poe. Le Triple assassinat au 147, rue Lafayette, lui, est tristement réel. Le 9 janvier 2013, Sakine Cansız, Fidan Doğan et Leyla Saylemez, militantes de premier plan du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) sont abattues en plein Paris, dans un bureau du parti. Aucune trace d’effraction, aucun signe de lutte des victimes : le meurtrier est un familier, mais dont le mobile est forcément politique.
Au matin, une foule de Kurdes et de sympathisants sous le choc se rassemble devant l’immeuble. « La colère est venue avec le jour. La foule scande : « Turquie assassin! Turquie assasin! » Personne ne croit à un cambriolage qui aurait mal tourné. Il se murmure que le meurtier serait revenu sur les lieux de son crime. Personne ne se doute alors qu’il est là, parmi eux. Sans un mot, immobile. Engoncé dans sa parka verte. […] Ömer Güney : trente ans. Lorsqu’il est placé en garde à vue huit jours après les meurtres, la communauté kurde est absourdie : celui qui est soupçonné d’avoir abattu leurs trois camarades est l’un des leurs. » (p. 44).
Le 10 janvier, Laure Marchand, correspondante de presse à Istanbul, se met au travail. Elle a déjà mis ses compétences en matière d’investigation au service d’enquêtes comme La Turquie et le fantôme arménien (avec Guillaume Perrier, Actes Sud, 2013).
Dans ce nouveau dossier, elle suit, mais prolonge aussi, l’enquête officielle. Son livre fait le point sur toutes les informations disponibles, elle traque notamment toutes les données concernant l’assassin présumé, dont beaucoup d’actes comme des déplacements-éclair à Ankara restent mystérieux et dont la personnalité reste énigmatique même pour les experts psychiatres. À tout le moins, cet homme a joué double jeu : Turc, en lien avec les services secrets turcs, se faisant passer pour Kurde pour infiltrer patiemment la communauté kurde de la région parisienne. Derrière la biographie de cet homme aujourd’hui décédé se profile une véritable affaire d’état, mettant en cause les plus hautes autorités de Turquie.
Le récit de Laure Marchand, malgré la complexité des faits, est très clair et tient en haleine comme un véritable polar.
Laure Marchand, Triple assassinat au 147, rue Lafayette, Solin/Actes Sud, 2017, 186 p., 19 €.